26 décembre 2015

L'âne et le bœuf dans l'icône de la Nativité


Par Jonathan Pageau publié sur Orthodox Arts Journal.

Il n'y a aucun âne ou bœuf dans les récits bibliques de la naissance du Christ. Pourtant, outre l'enfant Christ lui-même, l'âne et le bœuf sont les éléments les plus constant et ancien dans l'iconographie de la Nativité. En fait, le premier exemplaire d'une scène de la nativité que nous connaissons ne contient que le Christ emmailloté dans la crèche flanqué d'un bœuf à sa tête et de l'âne à ses pieds. David Clayton, sur le blog New Liturgical Movement, a écrit un article détaillé sur le sujet, et j'en reprendrais les bases, tout en ajoutant quelques aspects qu'il ne mentionne pas.

sarcophage de stilicon, Basilique St Ambroise de Milan, Milan, environ 400.
Lors de la lecture de commentaires sur la nativité (par exemple dans « Le sens des icônes » de Ouspensky) l'on trouve que l'inclusion de ce détail est une référence à la prophétie d'Isaïe :

Le boeuf connaît son possesseur, Et l'âne la crèche de son maître: Israël ne connaît rien, Mon peuple n'a point d'intelligence. (1:3)

Certains textes apocryphes ont l'âne et le bœuf adorer l'enfant Jésus, comme l'évangile de pseudo-Matthieu:

Or, deux jours après la naissance du Seigneur, Marie quitta la grotte, entra dans une étable et déposa l’enfant dans une crèche, et le bœuf et l’âne, fléchissant les genoux, adorèrent celui-ci. Alors furent accomplies les paroles du prophète Isaïe disant : « Le bœuf a connu son propriétaire, et l’âne, la crèche de son maître », et ces animaux, tout en l’entourant, l’adoraient sans cesse. Alors furent accomplies les paroles du prophète Habacuc disant : « Tu te manifesteras au milieu de deux animaux. »  (chap. 14)

Quel est alors la relation entre le bœuf et l'âne, pourquoi ces animaux associé ensemble ainsi? Nous lirons souvent que traditionnellement, le bœuf est considéré comme Israël, et l'âne est vu comme les païens (Gentils). Cela vient d'une distinction très importante sur les deux animaux. Le bœuf est un animal "pur", et l'âne est un animal «impur» selon la proscription alimentaire dans l'Ancien Testament.

Le mélange du pur et de l'impur est lié très étroitement au mélange des Juifs et des Gentils. Le meilleur exemple de cela est la vision de saint Pierre où des viandes pures et impures sont placées ensemble, ce qui signifient l'entrée des païens (Gentils) dans le corps de l'Eglise. En effet il y a une loi mosaïque que je n'ai jamais vu cité en lien avec l'icône de la Nativité, mais qui semble détenir l'une des clés concernant l'âne et le bœuf:

Tu ne labourera point avec un bœuf et un âne attelés ensemble. (Deut. 22 : 10)

Ce qui est proscrit, l'attelage du pur et de l'impur, le rapprochement de l '«intérieur» et de l'«extérieur» peut seulement être accompli sans péché par le Christ, l'incarnation du Logos. En fait, même saint Paul suivant cette tradition, utilise la même imagerie pour avertir les chrétiens de ne pas être "attelé" avec les infidèles.

Entrée à Jérusalem, XVe siècle, Russie.
Ceci fait ressortir un autre sens, qui est liée à l'incarnation et à sa relation à l'universalité de l'Église. L'âne est une bête de somme, une force "aveugle" qui a été créé pour «porter». Dans ce contexte, l'âne est un symbole de la corporalité elle-même. Il ne faut pas être surpris que le symbole de l'impur et de l' "extérieur" est analogique à l'existence corporelle tombée et à la sensualité. Cela peut être vu fortement dans la tradition hésychaste dans sa relation entre le cœur et les sens. La partie "extérieure", corporalité, les sens, les Gentils, sont liées aux vêtements de peau, que nous avons abordé auparavant, et cette périphérie peut être considérée comme protection, mais aussi comme portant ce qui est précieux, comme la coque de l'arche …

Il en résulte donc naturellement que les histoires comme l'âne parlant de Balaam sont considérés comme des préfigurations de l'incarnation dans des sources anciennes dès saint Irénée, où il est  important pour le Christ de chevaucher un âne (même pour le judaïsme rabbinique, l'ânesse et l'ânon de la prophétie de Zacharie sont considérés comme représentant les Gentils). Ces images de l'Ancien Testament, comme l'association de l'âne et du bœuf dans l'icône de la Nativité, sont  symbolique de l'union des extrêmes, l'union du spirituel et du corporel, du pur et de l'impur, l'intérieur et l'extérieur et, finalement, l'incréé et créé en la personne de notre Seigneur Jésus-Christ.


Traduction Nicolas Petit pour Iconophile.

1 commentaire:

  1. Notons que le Père Georges Drobot dans son intéressant. livre "Icône de la Nativité" consacre 3 pages au bœuf et l'âne. Ses propos recoupent en partie ceux de J.P, mais en moins développé.

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