Nous avons évoqué dernièrement cet ouvrage, en publiant l'étude de l'auteur intitulé "Bénir les icônes : Conforme à la Tradition de l’Église orthodoxe, oui ou non ?", présent dans cette ouvrage et publié ici en intégralité avec en supplément les offices de bénédiction d'icône repris par l'auteur (1,2,3).
Nous publions ici la recension de l'ouvrage faite par Jean-Claude Larchet.
Stéphane Bigham (éd.), «Iconologie. Neuf études», Orthodox Research Institute, Rollingsford, New Hampshire, 2005, 159 p.
Le Père Stéphane Bigham, est, au Québec, où il est prêtre et enseignant, connu comme spécialiste d’iconologie, une matière à laquelle il a déjà consacré sept livres.
Il a rassemblé dans ce volume neuf études: six de lui-même, deux du Père Nicolas Ozoline et une du Dr Constantin Kalokyris, professeur à l’Université de Thessalonique.
La première étude abord un sujet intéressant: celui du regard dans les icônes, et partant de la constatation que «certaines icônes, bien qu’elles semblent vous regarder, en réalité détournent le regard de vous», pose la question suivante: «Est-ce que les saints de certaines icônes évitent le contact oculaire par hasard ou dans un but précis? Les iconographes ont-ils une raison particulière de les peindre ainsi? Si oui, laquelle?» Dans sa très courte réflexion, l’auteur apporte malheureusement une réponse superficielle et non pertinente à cette question importante.
Le deuxième étude a comme sujet la personnification allégorique dans l’icône (exemples : la représentation du Jourdain et de la mer par un homme et une femme chevauchant un poisson et un monstre marin dans l’icône de la Théophanie ; la représentation du monde sous les traits d’un homme couronné appelé «Cosmos» dans l’icône de la Pentecôte). L’auteur soutient la thèse que la personnification allégorique est dans l’icône un élément mineur, acceptable mais non nécessaire ; lorsque sa dimension et son importance deviennent exagérées (comme ce fut le cas à certaines périodes de l’histoire) elle est «une menace pour l’équilibre théologique et artistique de la tradition canonique».
La troisième étude et constituée par des notes prises lors d’un cours du P. Stéphane sur «la couleur du fond d’une icône». L’opinion de l’auteur est que les couleurs foncées doivent être évitées car «elles n’évoquent pas la joie du Royaume des cieux mais plutôt un sombre nuage menaçant qui flotte sur les personnes et l’événement représentés». Les couleurs claires, dorées, et surtout l’or lui-même sont les plus aptes à représenter la Lumière incréée «qui pénètre de derrière les personnes et les choses représentées». Il nous semble que cette dernière expression n’est pas adéquate, car la lumière dans l’icône non seulement ne vient pas d’un endroit particulier (c’est pourquoi il n’y a pas d’ombre ni de clair-obscur dans l’icône), mais elle ne pénètre pas les êtres «de l’extérieur». Elle est un rayonnement des énergies divines qui pénètrent et «habitent» le Christ, la Mère de Dieu et les saints, que l’icône représente transfigurés. Elle vient donc de l’intérieur d’eux-mêmes et se répand à partir d’eux sur tous les êtres qui les entourent et sur leur environnement.
La quatrième étude a pour objet le symbolisme et l’intériorité dans l’icône. En ce qui concerne le premier thème, l’auteur souligne les dangers d’un usage excessif du symbolisme en rappelant que l’icône doit d’abord témoigner de la primauté absolue de la personne humaine ; en ce qui concerne le second thème, l’auteur rappelle brièvement les trois étapes de la vie chrétienne selon les Pères (praxis, contemplation et «theologia»), en notant (mais sans approfondir) que l’icône nous accompagne à chacune de ces étapes.
La cinquième étude concerne la position d’Eusèbe de Césarée vis-à-vis des images chrétiennes. L’auteur montre d’abord que, dans les textes où il en parle, Eusèbe témoigne de l’existence en son temps de toutes les catégories d’images que l’Église connaîtra plus tard; il montre ensuite qu’il ne mérite par la réputation d’iconophobe que certains historiens lui ont faite, laquelle se fonde seulement sur la «Lettre à Constantia» dont l’authenticité est douteuse.
La sixième étude, due au Dr Constantin D. Kalokyris, traite de l’effacement de la scène du «bain de l’enfant» sur certaines fresques du Mont-Athos représentant la Nativité. Cet effacement a été effectué à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle par des moines athonites influencés par des idées catholiques issues de la Contre-Réforme, lesquelles considéraient d’une part comme inconvenante la représentation non seulement de la nudité mais encore de la semi-nudité (en l’occurrence celle des bras nus des sages-femmes), et d’autre part comme contraire au dogme la représentation du bain du Christ, et cela pour deux raisons: premièrement, Marie avait accouché sans douleur, elle n’avait dont pas eu besoin de l’aide d’une sage-femme; deuxièmement, le Christ était né pur et sans tache et n’avait donc pas eu besoin d’être lavé. La première raison amena aussi certains iconographes à représenter la Mère de Dieu à genoux près de l’enfant (comme on le voit dans les représentations bien connues de Théophane le Crétois, à Stavronikita et ailleurs) et non plus couchée (comme si elle avait souffert ou avait été fatiguée du fait de l’accouchement). Certains théologiens orthodoxes furent influencés par ces idées occidentales, notamment saint Nicodème l’Hagiorite qui préconisa de ne pas représenter la scène du bain. Dans la suite de son article, l’auteur remet les pendules à l’heure en soulignant d’abord que la nudité n’a pas le même sens et n’est d’ailleurs par représentée de la même façon dans l’art religieux occidental et dans les icônes, et en montrant ensuite pourquoi il n’y a pas de problème dogmatique dans la représentation du bain aux yeux de la Tradition orthodoxe : «le fait d’être lavé ne signifie rien concernant la pureté du Christ. Il signifie par contre que, étant exempt du péché et de toute autre impureté, Il accepta de Se faire laver comme un enfant ordinaire “par condescendance pour le genre humain”», selon une expression courante de l’hymnographie orthodoxe.
La septième étude est due au P. Nicolas Ozoline, qui fut le professeur du P. Stéphane Bigham. Elle est intitulée «Tradition chrétienne et créativité dans les arts liturgiques — quelque remarques préliminaires à une approche orthodoxe». Le professeur d’iconologie de l’Institut Saint-Serge y montre que, dans l’iconographie, créativité et tradition ne sont pas antinomiques mais synergiques.
La huitième étude, intitulée «Des iconostases pour notre temps», est due au même auteur. Entre l’inflation qu’ont connue la Russie et les autres pays orthodoxes depuis la fin du XVIIe siècle avec des iconostases de plus en plus hautes, de plus en plus chargées et de plus en plus opaques, et l’école «schmémanienne» qui préconise la suppression des iconostases (une réforme largement accomplie en Amérique du Nord), le Père Nicolas Ozoline définit une position médiane, en faveur d’iconostases allégées, «transparentes», qui évitent «une séparation quasiment insurmontable» entre les célébrants et les fidèles et permettent une meilleure participation de ceux-ci à la liturgie.
Dans une dernière étude, le Père Stéphane Bigham pose la question de savoir si bénir les icônes est conforme ou pas à la tradition de l’Église. Il montre que la bénédiction des icônes est une coutume introduite au XVIIe siècle dans l’Église orthodoxe du fait d’influences catholiques. Les textes de conciles et des Pères (qu’il cite largement) considèrent que les icônes sont vénérables et saintes du fait qu’elles représentent fidèlement leur prototype et du fait qu’elles en portent le nom, et non du fait d’une bénédiction ajoutée. Il nous semble cependant que, à notre époque où les icônes se sont répandues dans diverses milieux souvent inconscients de leur signification, de leur valeur et de leur fonction, le fait de les faire bénir à l’église par leur prêtre est un rappel utile non seulement de leur sacralité mais de leur ecclésialité.
Orthodoxie.com
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